texte de Jean-Yves Le Gallou ) Apparemment, le 17 juin au soir, malgré un net retour du balancier vers la gauche, Nicolas Sarkozy et l’UMP ont encore toutes les cartes en mains : ils sont puissants et leurs adversaires sont désarticulés ou disloqués. Mais il leur faudra satisfaire les attentes de leurs électeurs, qui sont immenses et ambiguës, car, si le nouveau président a été élu sur la « rupture », de quelle rupture s’agit-il ? D’une rupture avec le système politiquement et syndicalement correct dominant ? Ou d’une rupture avec ce qui reste de France traditionnelle pour l’amener au modèle marchand et multiculturel anglo-saxon ?
Les risques de déception sont d’autant plus élevés que les marges de manœuvre sont étroites :
– Au plan financier, il est difficile d’accroître encore un déficit budgétaire annuel de 38 milliards d’euros ;
– Sur l’Europe, on pourra rapidement apprécier les limites sur la question de l’adhésion de la Turquie, pourtant régie par la règle de l’unanimité ;
– Au plan social, puisque le pouvoir syndical entend négocier chaque réforme pourtant déjà validée par les électeurs (comme le service minimum dans les transports publics) ;
– Au plan médiatique, puisque, si le soutien des grands patrons de presse semble acquis, il ne peut s’exercer que dans les limites du politiquement correct qui s’impose aux salles de rédactions ;
– Et même, au plan politique, puisque dans les faits les projets ne seront pas négociés avec les forces de la majorité puisqu’elles sont en état de soumission à l’Assemblée nationale mais avec l’opposition extra-parlementaire des « partenaires sociaux » et des lobbies associatifs de gauche ou d’extrême gauche.
Il sera donc plus facile de faire passer des lois d’apparence, des textes d’ajustement, des dispositifs cosmétiques ou des projets paillettes, que des lois fondatrices changeant réellement la donne : ainsi la future loi Hortefeux sur l’immigration, troisième ravaudage en quatre ans de l’ordonnance de 1945 sur le séjour des étrangers, a peu de chances d’apporter des changements réellement significatifs à un texte déjà modifié des dizaines de fois depuis 1975.
Ce « gradualisme négocié » permettra-t-il de traiter les problèmes ? Sûrement pas à la hauteur des enjeux. Suffira-t-il à satisfaire les électeurs ? La réponse n’est pas évidente : il n’est pas impossible que les Français puissent se contenter d’une prise en charge médiatique et virtuelle de leurs préoccupations. En revanche, ils toléreraient sans doute mal une reculade en cas de crise majeure.
Dans l’instant présent le paysage politique paraît bouleversé. Mais depuis cinq ans il a été tourneboulé à chaque échéance. Par le jeu des effets de mode, de l’instantanéité médiatique et de l’abstention différentielle, l’électorat est comme une cargaison désarrimée passant brutalement de bâbord à tribord. Il faut comparer le « choc du 6 mai » aux chocs précédents : 21 avril 2002, Le Pen au 2e tour de l’élection présidentielle ; 5 mai 2002, Chirac élu avec 82 % des voix ; juin 2002, très large majorité UMP à l’Assemblée nationale ; mars 2004, toutes les régions sauf l’Alsace conquises par le PS et la gauche ; 29 mai 2005, majorité pour le Non au référendum sur la constitution européenne ; 22 avril 2007, plus de 70 % de suffrages se portant sur les trois principaux candidats qui avaient défendu le “Oui” à la constitution européenne…
Ces grands mouvements de balancier s’expliquent doublement : d’abord, par les déceptions successives qui conduisent à s’abstenir ; ensuite, par la recherche, à chaque fois, d’une nouvelle formule « à essayer ». Ce qui prévaut, c’est la logique du choix politique jetable… Bref, rien ne prouve que le succès de mai/juin 2007 soit durable…
Cette stratégie – risquée – d’exposition sinon d’activisme médiatique, a servi Nicolas Sarkozy dans son ascension vers le pouvoir. Mais, arrivé au faîte, une telle concentration comporte des risques pratiques. À la première crise (troisième tour social ou troisième tour ethnique…) le président jouera son va-tout.
C’est peut-être là que réside la principale incertitude politique pour la France : ce décalage entre un pouvoir puissant, mais précaire, et l’absence de toute force d’alternative crédible.
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Ce texte est entièrement emprunté, avec son accord, à Jean-Yves Le Gallou. Il est disponible dans son intégralité sur le site <Polemia.com>. Il a pour point de départ un débat organisé le 12 juin sur Radio Courtoisie, dans « le libre journal des contribuables » animé par Benoîte Taffin.