Une des rares lois que nous enseigne la soi-disant science politique concerne l’alternance des forces qui se succèdent à la tête des États ayant opté pour une forme ou une autre de système représentatif. Quand l’opinion est satisfaite du travail accompli par une majorité sortante, elle lui renouvelle sa confiance pour un nouveau mandat. Quand cette opinion n’est pas satisfaite, elle investit le parti précédemment dans l’opposition.
Cette règle se vérifie dans les pays où le système est bipartisan. Par exemple, aux États-Unis. Mais elle se vérifie aussi en France, malgré l’opacité générée par la multiplicité de nos formations politiques comme de l’inutile complexité des élections à deux tours à laquelle s’ajoutent quelques raffinements d’experts… À la condition de mettre sur un même plan l’ensemble des élections générales, qu’elles soient présidentielles ou législatives.
C’est dans ces conditions qu’en 1981, François Mitterrand succédait à Valéry Giscard d’Estaing, que Jacques Chirac l’emportait en 1986, pour se faire battre par le Président sortant en 1988, lequel essuyait une lourde défaite en 1993, confirmée en 1995 (ce qui, selon la théorie, signifierait que les électeurs ne furent pas mécontents du gouvernement d’Édouard Balladur entre 1993 et 1995…). Retournement dès 1997, pour cause de dissolution absurde, nouvelle alternance en 2002, au profit du Président sortant Jacques Chirac qui affronte la majorité sortante menée par le Premier ministre socialiste Lionel Jospin. Et maintenant, l’élection présidentielle de 2007 où, selon la théorie qui vient d’être résumée, la gauche a toutes les chances de l’emporter.
D’où l’importance de la procédure interne élaborée par le parti socialiste pour désigner son candidat. Car, si, à droite, dans l’histoire de la ve République, les dissidences et les affrontements fratricides furent nombreux, il faut remarquer qu’à gauche, rien de tel ne s’est jamais produit au sein du parti socialiste, mais seulement, au-delà de ses frontières propres (en 2002, les candidatures de Dominique Voynet, Christiane Taubira, ou Jean-Pierre Chevènement). Si la gauche doit l’emporter en 2007, personne ne doute que se sera en la personne du candidat socialiste.
Au moment où nous écrivons ces lignes, comme nous le subodorions dans notre édito du 1er septembre 2006, la pression monte au PS pour inciter François Hollande à rassembler le parti, ses élus, ses cadres, et ses 200 000 militants derrière le leader naturel qu’est le secrétaire général d’un tel mouvement. Cette manœuvre de dernière minute, qui a de fortes chances de réussir, est la seule susceptible de décourager non seulement Lionel Jospin mais plusieurs autres des candidats à la candidature (Lang, Strauss-Khan…). Une inconnue demeure : les sondages continuent à conforter les ambitions de Ségolène Royal. Un affrontement direct avec son compagnon de vie semble invraisemblable…
Risquons un pronostic : François Hollande se déclarera ; sinon, Ségolène Royal se maintiendra ; dans ce cas-là, Lionel Jospin se présentera.
À droite, les choses, pour paraître plus compliquées, me semblent pourtant plus simples. Quand on voit Jacques Chirac débarquer à 8 heures rue François 1er pour venir dialoguer pendant 45 minutes avec Jean-Pierre Elkabbach (ex-protégé d’Édouard Balladur), on peut affirmer que le Président de la République est bel et bien en embuscade : il se représentera lui-même si la situation lui semble offrir une opportunité. Ce serait la cinquième fois qu’il se présente… Sinon, il poussera une candidature concurrente de celle de Nicolas Sarkozy. C’est pourquoi trois personnalités au moins sont dans les starting-blocks : Dominique de Villepin, quotidiennement ; Michèle Alliot-Marie, de plus en plus ouvertement ; et Alain Juppé, toujours candidat aux missions impossibles.
L’UMP aura bien, d’ici le mois de janvier prochain, un candidat unique, et ce sera notre ministre de l’Intérieur. Mais le pari qu’il fait, depuis plusieurs mois, qu’il aura finalement le soutien de tout son monde, y compris du président sortant, du Premier ministre actuel, et de l’ensemble des ministres du gouvernement est loin d’être gagné. Comme il continue à faire campagne sur le thème de la rupture, tout en restant ministre d’État, numéro 2 du gouvernement, la contradiction crève les yeux. Si on ajoute à cela le fait que les médias sont présentement trop occupés à faire campagne pour Ségolène pour continuer à lui faciliter la tâche, on peut dire qu’il est à craindre que le président de l’UMP ait mangé, à ce jour, tout son pain blanc.